Si le football reste le sport le plus populaire au monde et est bien souvent en proie à des récupérations politiques, il demeure régulièrement méprisé par les élites intellectuelles. Pourtant, le ballon rond constitue un vecteur démocratique à ne pas négliger.
Dans le cadre de Semaine Démocratie, nous avons d’ailleurs décidé d’aborder deux thématiques étroitement liées : le football dans la démocratie et la démocratie dans le football. Cette question fascinante mérite une mise au point.
Un premier constat s’impose : grâce à des règles simples et à un matériel qui consiste en un simple ballon, le football permet à n’importe qui dans le monde de pratiquer ce sport. Cette discipline prend donc une dimension universelle dans la mesure où chacun peut se l’approprier comme un jeu, un sport, un mode de vie ou encore une véritable profession selon les cas. Si l’on excepte l’opinion primitive et les actes malheureux de certaines personnes, le football permet aussi de réunir des hommes et des femmes issus d’horizons différents autour d’un objectif commun.
La simplicité apparente du football ne doit pas balayer les nombreuses valeurs qui sont véhiculées à travers le ballon rond. Pour prendre l’exemple de la Suisse, le football s’enracine dans le quotidien de nos concitoyens à l’échelle locale. On soutient l’équipe de son quartier ou de sa ville, ce qui contribue au sentiment d’appartenance de la population à son territoire.
De même, les familles et les amis se réunissent à l’occasion des matchs diffusés à la télévision et en profitent parfois pour effectuer des paris en ligne. Quant aux plus anciens, ils nourrissent la mémoire collective à travers les exploits passés de la Nati ou des joueurs emblématiques tels qu’Alexander Frei ou Stéphane Chapuisat. Les débats sur les choix de l’entraineur permettent également d’échanger son avis avec les autres passionnés et donc de débattre. De génération en génération, ce savoir est transmis au sein du foyer, mais aussi au bureau, dans les bistrots et dans les autres lieux de vie.
Les événements majeurs comme la Coupe du Monde et l’Euro constituent une sorte d’apothéose dans la mesure où le pays tout entier soutient la sélection nationale. Derrière chaque match, la nation fait bloc et chante à l’unisson pour son équipe. Ces grandes compétitions inscrivent également dans la mémoire collective un nouveau geste, un joueur de légende ou une rencontre désormais historique. S’il s’agit plus ou moins toujours de la même chose, cette émotion se régénère à chaque fois et nourrit une forme de solidarité sociale.
Alors certes, les scènes de liesse ne durent qu’un temps et le football paraît illusoire. Une fois la Coupe du Monde terminée, chaque citoyen retourne vaquer à ses propres occupations. Il serait pourtant réducteur de considérer la fête du football comme un événement mineur tant il s’agit en réalité d’un véritable mouvement démocratique.
Le philosophe Friedrich Nietzsche lui-même affirmait haut et fort que la fête avait pour fonction de réparer la société. Le football en est la parfaite illustration : d’un coup, on assiste à une véritable cohésion de la communauté à travers un langage universel constitué de chants, d’embrassades, de cris, larmes et de paix. Les clivages politiques s’estompent et une véritable identité collective se forge. Le football est d’ailleurs inconcevable sans la fête qui l’entoure et sans son aura préservée intacte par la mémoire collective.
Autre élément à prendre en compte, la démocratie participative semble bien plus présente dans le football que sur l’échiquier politique. Nous vibrons tous de la même façon devant un match et les clubs donnent même un certain pouvoir aux supporters en les intégrant par exemple aux différentes réunions du conseil d’administration. C’est notamment le modèle des sociosau Portugal et en Espagne.
Pour finir, nous avons voulu vous présenter un cas unique dans l’histoire du football. Soucieux de combattre à sa manière la dictature militaire brésilienne, les Corinthians décident en 1981 d’établir un fonctionnement démocratique au sein du club. Cette initiative vient du nouveau président du club et sociologue Adilson Monteiro Alves, mais aussi du charismatique milieu offensif Socrates.
La démocratie corinthiane supprime les primes de matchs et décide plutôt de distribuer les recettes liées à la billetterie et aux droits télé à l’ensemble des salariés du club. Les joueurs sont également au centre des décisions et gèrent la préparation des matchs, le recrutement ou encore l’organisation des déplacements.
Sur le terrain, les Corinthians enchainent soudainement les succès tant les joueurs se sentent impliqués dans la vie du club. L’équipe devient un véritable symbole contre la dictature et arbore régulièrement des messages sur les maillots afin d’inciter les Brésiliens à aller voter. Ce système va fonctionner jusqu’en 1985 et cesse avec l’avènement de la démocratie au Brésil.